Rencontres avec les migrants

Rencontres avec les migrants

Quel vaste problème que celui des migrants... Ces milliers d'hommes et de femmes, accablés de pauvreté, qui chaque jour se mettent en route depuis le coeur de l'Afrique vers l'espoir, vers nos contrées si riches où, c'est certain, pensent-ils, ils trouveront un début d'avenir et peut-être même un début de bonheur. 

Mais l'Europe se défend... et c'est presque d'une seule voix que les pays proclament "qu'ils ne peuvent pas accepter toute la misère du monde"... Mais chacun sait également, sans le dire aussi haut, que beaucoup de pays européens ne sont pas tout à fait étrangers à cette misère de l'Afrique... Une des solutions pour freiner les flux migratoires passe évidemment par le développement économique des pays africains, mais les étapes à franchir pour y arriver sont nombreuses : éducation, santé, bonne gouvernance, infrastructures, justice, sécurité, etc. Même si d'énormes efforts sont faits, ce processus est lent, désespérément lent.

(c) Juan Medina

En attendant, l'Europe fait tout pour ne plus voir des photos comme celle ci-dessus : cette image du migrant qui "débarque" épuisé, mais dans la plus totale indifférence, sur les plages touristiques des Iles Canaries, fait honte. Aujourd'hui, l'Europe assiste les pays africains riverains de la Méditerrannée pour que des mesures soient prises "en amont" pour dissuader les candidats migrants d'embarquer et pour les renvoyer dans leur pays d'origine.

Comme beaucoup de migrants venant d'Afrique Centrale sont chrétiens, les quelques structures chrétiennes présentes dans les pays du Maghreb ont beaucoup à faire pour soutenir moralement ces malheureux, pleins de désillusions, qui entreprennent le pénible chemin du retour.

Le Père Norbert et ses amis ont évidemment beaucoup d'occasions d'en rencontrer et le blog publiera leurs témoignages sur cette question tellement délicate.   

Le Webmaster

NB. Pas souci de discrétion pour les migrants, les photos publiées dans cet article, où l'on peut reconnaître des visages de migrants, sont toutes reprises du Net et sont sans aucune relation avec des cas cités. 

---

A PROPOS DES MIGRANTS

par le P. Norbert Mwishabongo

Frères et sœurs,

Me voici pour vous présenter ici un deuxième témoignage sur la complexité de la pastorale des migrants. Tous les jours nous vivons des expériences du genre non seulement pour des cas des maladies mais aussi : faciliter le processus du retour au pays en étant un simple relais de Rencontre et Développement, assistance médicale se basant sur les ordonnances que les médecins dans des hôpitaux délivrent, des enterrements, comme celui que je viens de présider il y a quelques heures(un jeune Libérien mort il y a six mois et dont le corps vient d’être mis en terre en présence de quatre de ses compatriotes), etc.

Comme partagé dans mon bilan de six mois de vie missionnaire dans cette partie de l’Afrique, oui la pastorale des migrants est vraiment une pastorale complexe non seulement par sa nature mais aussi du fait qu’elle n’est pas facile à vivre. Elle est une pastorale qui nous révèle beaucoup de réalités oui, nous met dans une situation de questionnement… mais aussi nous révolte terriblement au point de poser des questions sur : la nature et l’identité de l’homme, la justice sociale et économique, l’exploitation de l’homme par l’homme, le besoin urgent de la paix, le développement, le partage équitable de ressources, la bonne et démocratique gestion et gouvernance des nations par les dirigeants, etc.

Réfléchissant sur la complexité de cette pastorale (la question des migrants), laissant éclater au fond de moi la colère qui monte à cause de la complexité de cette pastorale, je pense souvent aux paroles de Martin Luther King quand il dit : « I have a dream …» (j’ai un rêve …) et je me dis : le monde ne connaîtra pas de tranquillité, de paix, de liberté… si la question de la justice sociale n’est pas traitée équitablement, concrètement, véritablement, etc.

Sans aucune hésitation, je m’approprie souvent le discours du Cardinal Lavigerie contre l’esclavagisme et l’exploitation de l’homme : « Je suis homme, toute injustice contre l’homme mon frère, révolte mon cœur (…) ».

Oui, ma chère Afrique lève-toi, prends ton grabat et marche. Oui ma chère Afrique il est grand temps de dire trop c’est trop ! Unissons-nous pour la cause de l’homme ! Jusques à quand continuera cette réalité des migrants qui déshumanise le monde ?

P. MWISHABONGO MUKWANGA Norbert

---

Témoignage du Frère Jan HEULT

AFRIQUE LEVE-TOI, PRENDS TON GRABAT ET MARCHE

Complexité de la pastorale des Migrants, par le Frère Jan HEULT, Président de l’Association Rencontre et Développement

Je viens juste de rentrer de Dali–Ibrahim dans la banlieue d’Alger. Un coup de téléphone nous a appelé d’urgence pour assister une Congolaise de 42 ans, atteinte d’une hépatite B. La maladie a pris tout le bas ventre, la rate, le foie, les poumons et les intestins. Mère d’une jeune fille handicapée mentale de 17 ans, elle fréquentait toutes les églises et toutes les mosquées d’Alger pour survivre. La jeune fille handicapée mentale a été violée sur la route du désert et est aussi, mère d’un garçon de 3 ans. Que vont–ils devenir après le décès de leur mère et grand’mère ?

A notre arrivée une quinzaine de femmes congolaise et cinq ou six hommes entourent la malade qui n’en peut plus ! Elle vit ses dernières heures et sa fille la regarde hébétée comprenant visiblement la gravité de l’état de sa mère.

Que faire dans ces heures tardives ? Faut-il laisser mourir la malade chez elle entourée des siens avec des moyens vraiment du bord ou vaut–il mieux l’emmener à l’hôpital le plus proche ? Une grande discussion s’enflamme sur le sujet, encore plus animée lorsque la responsable de l’association arrive. Elle avait pris en charge, ces derniers jours, la malade avec beaucoup de courage. Mais ses décisions ne font plus l’unanimité de la communauté l'entourant. Finalement un de mes collaborateurs, pris de pitié, prend son portable et appelle les pompiers pour une ambulance qui arrive vite et après une nouvelle discussion « brûlante » cette fois-ci, la malade est transférée à l’hôpital le plus proche. Lorsque l’ambulance démarre vers l’hôpital, la jeune handicapée jette un dernier regard triste à l’intérieur du véhicule avant de rentrer dans la maison, un peu plus courbée que d’habitude et tenant son petit fils par la main.

Avec les réfugiés subsahariens, les migrants et les algériens voisins nous faisons une dernière analyse de la situation tout en sachant qu’à notre malade il ne lui reste que quelques heures à vivre. Avant de reprendre notre voiture nos regards se croisent et nous nous rendons compte de l’énorme détresse dans laquelle vit cette population réfugiée ou migrante.

Et voilà durant notre route de retour, le téléphone sonne de nouveau et un message SMS s’affiche. C’est un jeune sourd de 30 ans. Il n’arrive plus à supporter le fait que personne ne le comprend et que lui aussi ne comprend personne. Il a l’impression que tout le monde l’ignore, parle dans son dos. Il a envie de hurler sa détresse, mais personne ne vient à son aide. Cela fait cinq ans qu’il travaille, qu’il se lève tous les jours 5h30 le matin pour ne rentrer qu’à 19h le soir où sa femme enceinte et déjà mère de trois enfant l’attend. Il y a un mois, une personne lui a envoyé un message en disant « tu n’es qu’un handicapé, tu seras toujours au dessous d’une personne normale ! » Ah, il n’en peut plus, il a envie de hurler, de casser tout, de se suicider. Nous arrêtons la voiture au bord de la route et par un SMS de retour, nous essayons de le calmer et de lui monter le moral.

Il est 23h30, je vais me coucher, parce que demain matin à 8h00 je dois être à la gare routière. Un jeune camerounais de 30 ans, avec une seule jambe et une béquille soudée en métal, va rentrer au Cameroun, en car et à pied ! par voie terrestre ! C’est extraordinaire ce courage. Nous allons l’aider au maximum pour rentrer sain et sauf par notre relais.

---